MON TRAVAIL VU PAR BEATRICE MOULIN
Si les pratiques sont diverses , ses influences artistiques sont multiples : (photographie, cinéma, musique, bande dessinée, parfumerie)
Parallèlement au travail de portraits commandées, Eric développe des thématiques personnelles qui empruntent autant à l’expressionnisme – Série Autoportrait/Catharsis où l’artiste procède à la distorsion du visage – qu’à l’art abstrait. Par une suite d’expérimentations sur la ville, son décor, ou la beauté formelle du « Plastique », il fait naître en chacun l’émotion esthétique par des perspectives obliques et insolites et interroge la place de la matérialité dans notre environnement. La figuration narrative représente une autre partie importante de son travail.
En opposition au portrait commandé, l’artiste confronte son intériorité au contact du bitume et affine son approche documentaire et sociologique en questionnant l’Homme et son contexte.
Dans toutes les phases de sa production artistique, Eric Govignon s’appuie sur une réflexion cohérente et structurée dans l’idée de transmettre au public des images perceptibles par chacun loin d’une vocation simplement illustrative ou décorative.
L’intention est double ; outrepasser les codes photographiques pour créer une nouvelle poétique visuelle et chercher dans la réalité urbaine les traces et les actions individuelles. Un grand écart que l’artiste assume pleinement et consciemment.
Béatrice Moulin
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La série intitulée Autoportrait est directement inspirée du tableau de Edvard Munch « Le Cri ». Le peintre écrivait dans son journal « Je me promenais sur un sentier (…), le soleil se couchait, tout d’un coup le ciel devint rouge sang, je m’arrêtai, fatigué et m’appuyai sur une clôture (…) je sentais un cri infini qui se passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. » Fasciné par l’œuvre de Munch, le photographe Eric Govignon en a conçu une réinterprétation dans l’esprit expressionniste du peintre. Dominé par une tension psychologique introspective, le corps -particulièrement le visage- est déformé jusqu’à l’extrême, l’utilisation de la pose longue dilate le mouvement. L’artiste reconnaissable au début de la série évolue jusqu’au paroxysme de son être, prisonnier de son intériorité il devient spectral. L’homme libéré de ses émotions retrouve in fine le plaisir d’exister.
Béatrice Moulin
Pour contredire les clichés d’une représentation formelle de la ville et du paysage, Eric Govignon a conçu cette série comme une allégorie visuelle. S’appuyant sur une collecte photographique urbaine où les cadrages obliques sont privilégiés, l’artiste engage dans son laboratoire numérique un travail de recréation. Par une suite de combinaisons géométriques complexes, plans et espaces sont manipulés pour déconstruire le réel et dire le monde autrement. Les noirs marqués et les blancs laiteux renforcent cette stratégie du dépaysement en dévoilant des régularités lancinantes, des symétries kaléidoscopiques hypnotiques et décalées qui témoignent de la puissance de l’art et des mathématiques combinés.
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PLASTIC PASSION
Eric Govignon a conçu les séries Plastic passion comme un paradoxe qui pose en chacun de nous la question de l’être et le paraître. L’artiste s’est emparé du plastique, le matériau le plus invasif et le plus controversé de nos sociétés contemporaines pour lui inventer une nouvelle esthétique, une autre réalité qui précisément se situe au-delà des apparences. L’être plastique reste identique à lui-même mais engagé dans le monde sensible il est en perpétuel et continuel changement, le paraître lui donnant la possibilité d’exister. En s’appuyant sur les caractéristiques originelles du plastique, sa transparence, sa flexibilité, sa gamme chromatique et sur une technique photographique précise où la lumière joue un rôle déterminant, il donne corps au matériau et libère l’objet de sa réalité quotidienne. Les bouteilles polluantes et vulgaires jouent l’équilibre sur un fond clair, les courbes se féminisent ; le plastique banal n’évoque plus seulement le polymère en tant que matière, il se métamorphose en silhouette modelée par l’artiste.
Cette série est la première du cycle Plastic passion débuté en 2013. Premières recherches esthétiques. Sans intention particulière, j’ai commencé cette première série avec l’envie de pervertir le matériau afin de générer d’autres sensations en le manipulant et le transformant.
corps – silhouettes
Deuxième série du cycle, j’ai commencé à découper le matériau vers un rendu plus poétique, série inachevée.
Troisième série du cycle, j’ai commencé à découper le matériau vers un rendu plus poétique, série inachevée.
Quatrième série du cycle, j’ai commencé à découper le matériau vers un rendu plus poétique, série inachevée.
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SAC PLASTIQUES
L’autre partie des créations du photographe Eric Govignon ouvre le deuxième champ des possibles. Le sac plastique, parangon de nos déjections domestiques tant gaspillé et si peu recyclé y est manipulé, transformé pour pénétrer un monde chimérique laissé à l’imaginaire de chacun – aucune photo ne comportant de titre. L’objet artistiquement perverti n’efface aucunement les interrogations liées à sa production, sa toxicité ou son gaspillage mais inscrit l’art en tant qu’affirmation de sa dénonciation.
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PHOTOGRAPHIE DE RUE
Cette catégorie propose deux rubriques distinctes : Fragments argentiques et Posées qui en rien ne s’opposent mais participent à un besoin différent d’expérience photographique de rue
La photographie de rue est pour moi un aspect très particulier de ma pratique car je m’y adonne avant tout pour le plaisir. C’est un domaine que je me réserve et dans lequel, je suis mon propre client. De cette manière, je suis libre de louper une photo, de ne pas déclencher l’appareil ou bien encore d’expérimenter. Je n’ai aucune pression.
La photographie de rue a aussi représenté pour moi une sorte de thérapie à la fois personnelle, urbaine et sociale. Le spectacle urbain et l’énergie propre à la vie citadine sont en effet pourvoyeurs d’assurance et de confiance pour celui qui s’y confronte, ils permettent l’épanouissement.
J’essaie désormais de garder cet état d’esprit. Et je citerai un grand photographe que j’admire beaucoup« En faisant de la photographie de rue je cherche à comprendre la photo, le monde et moi-même » (Elliott Erwitt)
Je considère mes photographies comme des « miniatures innocentes de la réalité », une réalité qui pourtant pourrait être différente ou simplement ne pas être car saisi par la ville son énergie mais également par ses temps morts je me laisse guider par mon instinct. Sans injonction ni dogme, je me laisse ainsi happer par l’insignifiance d’un personnage, d’un geste, d’une posture ou d’un vécu et j’essaye alors de saisir ces moments. J’essaye de fixer sur la pellicule ce que mes yeux ont tout d’abord su déceler, l’aura de mes sujets au-delà de leurs seules apparences.
« C’est la capacité à découvrir quelque chose d’intéressant dans un lieu banal » (Elliott Erwitt)
« Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences » (Chris Marker)
Ce que j’aime et ce que je recherche chez les personnes que je photographie, c’est leur façon d’être quand ils ne sont pas observés …
« Il y a quelque chose sur le visage des gens, quand ils ne se savent pas observés qui n’apparaît jamais quand ils sont conscient de l’être » (S. Sontag)
Et cette autre pensée rejoint tout à fait celle-ci
« N’être vu d’absolument personne et ne pas savoir qu’on est vu sont des choses similaires encore fondamentalement différentes. » (R. Depardon)
Je suis, à l’image de certains de mes illustres prédécesseurs, un « flâneur aux aguets ». Déambuler constitue d’ailleurs mon projet photographique dans mes Pérégrinations urbaines. En grand marcheur, je parcours la ville sans poursuivre aucun but si ce n’est l’exploration des rues qui s’ouvrent devant moi. Je laisse mes pas me guider et la ville m’imprégner de ses rythmes et de ses scènes. Je reste vigilant. Je furète, je regarde les gens, les observe, les écoute et parfois je les surprends.
L’important pour moi est de rester attentif, réceptif à mon environnement et d’avoir toujours mon boitier à portée de main, prêt à saisir la fugacité d’un regard, d’une expression ou d’un geste. J’essaye également de faire les choses naturellement, d’avoir le sourire et une démarche confiante afin qu’on ne me prête pas d’intentions suspectes ou malveillantes. Je veux rester un observateur bienveillant pour ensuite accueillir les choses telles qu’elles se présenteront.
Parfois, c’est presque inévitable malgré mes précautions, je sens de la tension parce que je photographie souvent sans demander, un peu à la volée. Alors j’explique ce que je fais … Mais parfois ça dérape…
Sur la vaste scène qu’est finalement la ville, prendre possession de l’espace ne va en effet pas de soi et se retrouver dans le viseur d’un appareil photo peut être ressenti comme une intrusion voire une agression. Je crois que c’est ce qu’ont ressenti ces trois femmes assises sur un banc et fixées sur ma pellicule avec leurs mains devant leurs visages. Cela me fait souvent réfléchir non seulement au droit à l’image que la personne photographiée a la possibilité d’exercer mais aussi aux limites comme à la finalité de ma pratique photographique.
Eric G.